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à l'ombre des jeunes filles en fleurs - Page 2

  • Autour de Mme Swann

    A l’ombre des jeunes filles en fleurs : le titre évoque d’abord Gilberte, mais celle-ci est indissociable de sa mère ; la première partie s’intitule « Autour de Mme Swann ». Proust y indique pour la première fois en sous-titres ses thèmes et personnages principaux. « A l’ombre de... », « A la recherche de... » – ce beau titre en variation trompe un peu, les jeunes filles n’y ont pas forcément le premier rôle. Si vous avez cru que la fin d’Un amour de Swann était un adieu à Odette de Crécy, voyez plutôt. 

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    Le récit commence par l’invitation à dîner de M. de Norpois chez les parents du narrateur, l’occasion de faire le point sur leurs relations sociales : sa mère regrette que le professeur Cottard soit en voyage et que Swann se comporte en « vulgaire esbroufeur » depuis qu’il est « le mari d’Odette ». Le Dr Cottard dont nous avons découvert les calembours stupides chez Mme Verdurin est devenu depuis une « notoriété européenne » ; sur les conseils d’un ami, il a adopté « l’air glacial » et cultive l’impassibilité avec succès.

     

    Le marquis de Norpois, qui a été ministre, ambassadeur, dont on apprécie l’« esprit de gouvernement », passe aussi pour très froid à la Commission où il siège à côté du père du narrateur, tout étonné de son amitié pour lui. Sa mère l’admire, même si sa conversation est un répertoire « des formules surannées du langage particulières à une carrière, à une classe et à un temps ».

     

    Le souvenir de ce premier dîner du marquis chez eux est lié à des changements importants pour leur fils : grâce à son avis favorable, il peut enfin aller entendre la Berma, une première « matinée théâtrale » qui le déçoit, il tentera de comprendre pourquoi. De plus, M. de Norpois persuade son père d’un avenir possible dans la littérature, alors que celui-ci n’envisageait pour lui qu’une carrière diplomatique. 

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    Première édition nrf (Du côté de chez Swann publié chez Grasset)

    Si son attention honore le narrateur, le marquis le surprend aussi : son éloge de la Berma réveille son intérêt pour la grande actrice, mais il est dérouté par ses mots sur Balbec, sur Swann et sa femme « tout à fait charmante », et « atterré » par ses propos sur Bergotte jugé « bien mièvre, bien mince et bien peu viril ». Du coup, il s’interroge : son désir d’écrire est-il assez fort ?

     

    Au jardin des Champs-Elysées, le retour de Gilberte le met à l’épreuve. Elle lâche que ses parents ne le « gobent pas » mais aussi, un jour qu’il l’a attrapée : « si vous voulez, nous pouvons lutter encore un peu ». Puis il tombe malade, on appelle Cottard, plus question de sortir. Une lettre inespérée arrive alors, de Gilberte qui l’invite pour la première fois chez elle – « La vie est semée de ces miracles que peuvent toujours espérer ceux qui aiment. »

     

    L’appartement des Swann s’ouvre à lui, où le parfum de Mme Swann se devine jusque dans l’escalier, embaumé surtout du « charme particulier et douloureux qui émanait de la vie de Gilberte ». Ses nattes contre sa joue, ses papiers à lettres variés à chaque nouvelle invitation, les gâteaux, le thé de Mme Swann qui maintenant a son jour, son salon, et un peu du « despotisme minaudier » de Mme Verdurin, tout l’enchante, le trouble, le séduit.  

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    Laure Hayman en 1879, photographiée par Nadar / Mme Swann ?

    Les Swann l’accueillent désormais comme un grand ami de Gilberte, ses parents à lui sont peu enthousiastes, critiques envers Swann et sarcastiques par rapport à Odette – « Les femmes élégantes n’allaient pas chez elle. » Bientôt il les accompagne dans leurs sorties, est convié à déjeuner – chez Mme Swann, on dit le « lunch ». Il la trouve souvent en robe de chambre dont il admire « le crêpe de Chine », les manches roses ou blanches ou « de couleurs très vives » quand elle se met au piano pour jouer la sonate de Vinteuil – longue réflexion sur la « première fois » qu’on entend un chef-d’œuvre.

     

    Son rêve de rapprochement avec les Swann devenu réalité, il est ravi. Les merveilleuses robes de chambre – Odette « s’excusait de posséder tant de peignoirs parce qu’elle prétendait qu’il n’y avait que là-dedans qu’elle se sentait bien » – font place à des « toilettes souveraines » quand ils sortent. Quelle fierté de les accompagner au Bois, d’attirer les regards, d’être présenté à la princesse Mathilde !

     

    Autre miracle surprenant : la rencontre chez les Swann de l’écrivain Bergotte, un « homme jeune, rude, petit… », à la place du Bergotte « lentement et délicatement élaboré » en lui-même, « goutte à goutte, comme une stalactite ». « Les noms sont des dessinateurs fantaisistes », la réalité parfois si loin de ce qu’on a imaginé, et l’homme « à barbiche » si loin de son œuvre, et même sa voix, sa conversation !  En y réfléchissant, le narrateur conclut par une phrase que je serais tentée d’appliquer à l’auteur : « C’était surtout un homme qui au fond n’aimait vraiment que certaines images et (comme une miniature au fond d’un coffret) que les composer et les peindre sous les mots. »

     

    Pour Bergotte, M. de Norpois est « un vieux serin ». Gilberte flatte son ami en lui chuchotant que l’écrivain l’a trouvé « extrêmement intelligent », propos rapporté qui modèrera un peu la sévérité de ses parents à l’égard de ses relations. Héritier de sa tante Léonie, dont son père gère la fortune jusqu’à sa majorité, le jeune homme vend sa belle argenterie (il le regrettera plus tard) pour pouvoir offrir des fleurs à Mme Swann, et donne même un de ses canapés à la maison de passe où il est reconnaissant à son ami Bloch de l’avoir introduit.

     

    Et quand cette nouvelle amitié pour Gilberte semble établie, voilà qu’elle tend à espacer ses visites. A tel point qu’il n’a soudain plus envie de la voir et décide de renoncer « pour toujours » à Gilberte, convaincu qu’elle finira par désirer son retour. L’éclairage revient alors sur Mme Swann chez qui il se rend en l’absence de sa fille, sur son « jardin d’hiver », son salon, en parallèle avec ce qu’il appelle le « long et cruel suicide du moi qui en moi-même aimait Gilberte ».

    Nous entraînant à sa suite dans l’exploration des états amoureux, des passions, dans l’expérience du temps « élastique », Proust nous surprend tantôt avec une expression (« casser les vitres ») tantôt un mot désuet (« saute-en-barque »). Il nous touche avec ses formules si justes : « l’amour a tant d’éloquence, l’indifférence si peu de curiosité. » 

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